
L’âme haïtienne illumine le Grand Palais |
Jeudi, 27 Novembre 2014 00:00 |
  Accueillis par « La Porte d’Haïti » une sculpture monumentale en aluminium, résine et suspensions lumineuses d’Edouard Duval-Carrié exposée autour de la porte d’entrée, le visiteur entre dores et déjà dans une atmosphère lumineuse et dynamisante. Dès ses premiers pas au sein de l’espace muséal, il s’imprègne de la magie de l’art contemporain haïtien. Il pénètre alors dans un bouillonnement d’esprits créatifs, en quête de nouveauté, d’équilibre, de spiritualité et de beauté. Tous ses sens vibrent, trois pas tout droit, puis un pas sur le côté, et enfin un autre pour se remettre dans sa verticalité afin de pouvoir continuer son initiation à l’art haïtien, la tête bien sur les épaules (enfin, c’est ce qu’il croit…). Un peu dérouté par les titres des quatre grands thèmes de l’exposition en langue créole : Santit yo (sans titre), Lesprit yo (esprits), Peyizaj yo (paysages) et Chèf yo (chefs), le visiteur se laisse porter par l’embrasement de ses émotions et de la fluidité des énergies. D’abord attiré par les petites lumières jaillissant de l’étonnante sculpture de l’artiste Elodie Barthélémy « Jalouzi »
La plupart des artistes contemporains haïtiens créent dès leur plus jeune âge. Avec des objets abandonnés, un stylo, un feutre ou un morceau de craie, du tissu, une voile, une toile, une taule, de la moquette, du velours, des boutons, du carton, des bouts de bois, des paillettes, des roues, des pneus, du métal, des poupées, des guirlandes, de la nacre, des billes, du papier, des objets divers et même des déchets, ils créent et aiment créer, sans aucun préjugé. Il semblerait que TOUT soit possible entre leurs mains. Pour exemple, l’œuvre de David Boyer « Krisifye » symbolise non seulement l’ état d’esprit du natif haïtien qui jongle entre le catholicisme prégnant, le vaudouisme, les signes, codes d’autres religions et courants spirituels qui circulent sur l’île, mais aussi la solidarité entre amis. David a réalisé cette œuvre majestueuse en seulement 22 jours, alors que chaque bouton est cousu à la main sur la toile et, il y en a des centaines… « Des amis m’ont aidé », précise t-il avec douceur et humilité. Guyodo (Frantz Jacques) est sculpteur. Il vit et travaille à Port-au-Prince dans la Grand Rue en utilisant toutes sortes de matériaux de récupération. Il est actuellement en résidence pour 2 mois à la Cité Internationale des Arts à Paris et a réalisé pour le Grand Palais l’œuvre qui se trouve en haut des escaliers. « Oui, je valorise une chaise roulante car je me sens moi-même handicapé, parce que je n’ai pas les moyens de pouvoir m’acheter du matériel pour créer, alors mes sculptures sont faites avec de la récup. Je crée et revendique que les artistes vivants ont besoin d’argent pour créer ! On a besoin de matériel, d’une galerie pour nous représenter aussi, et surtout… » D’autres créations de Guyodo se trouvent au sein de l’expo. Le handicap dont Guyodo parle ne serait-il pas celui de Haïti, île meurtrie et éloignée ?
« Constellations de la déesse / Ciel au-dessus de Port-au-Prince Haïti 12 janvier 2010 21:53 UTC », est l’œuvre de Jean-Ulrick Désert. Il nous explique que c’est une sculpture du ciel, réalisée avec 700 étoiles sur un fond de velours rouge, des aiguilles et un portrait de Joséphine Baker, elle est son leitmotiv parce qu’elle incarne un symbole universel, elle est une déesse pour les personnes qui ont émigré. Ces étoiles montrent leur position au moment du séisme de 2010, comme si elles avaient deviné le moment de cette tragédie. « Pour moi, la religion du futur sera la science ! J’ai choisi un ciel rouge parce que je choisis la poésie dans ma vie, elle permet d’être décalé, de prendre les choses du bon côté. » Avec les « Boules du ciel » que l’on peut prendre avec soi (disponibles dans une corbeille en face des deux œuvres de l’artiste), Désert veut que l’art ne reste pas dans les musées. « Je souhaite que les visiteurs puissent emporter chez eux un bout de l’œuvre, c’est bien que les institutions soient aussi généreuses avec les personnes qui s’intéressent à l’art mais n’ont pas les moyens d’acheter des œuvres ». La deuxième œuvre placée sur le sol, « The Godness temple » représente une façade tombée, donc en ruine, de la maison de Joséphine Baker, faite avec du tapis, du béton, du velours noir et blanc. C’est une métaphore du noir et du blanc, de la dualité, des polarités. Il y a un flash code et le visiteur peut écouter une chanson d’amour d’Oum Khalsoum. « Elle symbolise la relation particulière entre la France et Haïti, entre l’amour et sa pureté (le blanc) et un historique plutôt noir. Une relation complexe. Ses deux œuvres font parties d’une série de six projets. » précise Jean-Ulrick Désert. Le parcours au sein du chapitre LESPRI YO/ESPRITS est chargé d’œuvres fortes connotées par les symboles maçonniques. Un artiste anonyme déploie des piliers du 18ème degré représentant les trois vertus théologales que sont : la foi, l’espérance et la charité, très représentatives de la mentalité des Haïtiens. De nombreuses huiles de Sénèque Obin des années 60, le fameux « Voyage d’Hector Hyppolite en Afrique » d’Hervé Télémaque et bien d’autres œuvres emblématiques sont un peu le reflet de l’âme d’Haïti. L’exposition, si elle valorise merveilleusement des artistes contemporains, a aussi le pouvoir remarquable du dialogue intergénérationnel. Les portraits des « Chefs » sont quant à eux, humoristiques, caricaturaux et apologiques. Le tête-à -tête Basquiat/Télémaque est superbe. Autant d’artistes autant de symbolismes et d’implications dans un monde en mouvance et en transformations permanentes.
Forces et énergies, chaleur et mystère, amour et dérision sont au cœur de cette exposition d’une richesse extraordinaire. Gageons que des mécènes vont se manifester… rapidement et aider les artistes à rayonner dans le monde entier !  Haïti, Deux siècles de création artistique Grand Palais Ouvert du jeudi au lundi, de 10h à 20h, fermé le mardi, mercredi nocturne jusqu’à 22 heures.
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